post pintura (2011)

à propos de l’atelier Bernard Legay

                                               post pintura animal triste

 

 un soir j’ai assis la beauté sur mes genoux - et je l’ai trouvée amère -  et je l’ai injuriée
                                                                                                                                          (A. R.)

 Tout arrivera  car tout est déjà arrivé… les tremblements de notre impossibilité à vivre autrement qu’avec la présence constante d’une histoire irrémédiable. Les peintures  ne portent que ce qu’on ne peut en dire : la réalité  de nos peurs, l’arrachement de soi.

 J’ai vu les craquements, j’ai vu les sédiments lourds accepter le vent et la pluie, et partir en lambeaux. J’ai vu le soleil tenter de fixer les pigments…  devant la maison…  c’était un dimanche, les draps étaient sortis. On parlait alors de peindre la toile, de déliter les couches délivrant des dessous bouillonnant… d’enterrer les couleurs.

La peinture ici accompagne le drame.  Elle s’orne pourtant d’une énergie  vitale impossible à taire, impossible à contenir : tout pousse  sur le terreau des morts, tout déborde : ça grouille sous la peau.  Peindre c’est couvrir et recouvrir, par intuition, par instinct peut –être, dans une lenteur inouïe, qui dépasse de loin  le rythme de nos jours…  La peinture naît la nuit, au moment du refus - le refus d’adhérer fait craquer les vernis - elle  pue  comme sentent nos tripes,  elle pue de sa transformation,  elle pue des avenirs douteux, étrangère à toute conservation, et s’expose alors  entre deux catastrophes… Loin de nous envahir, le format choisi ( « figure », forcément)  incite au repli,  au tête à tête, à l’intime lecture, et dedans, sans fard les nacres séminales éclairent le rose-jaune éteint d’une peau déjà froide. Le vert lourd des forets,  couvrant un rouge glaireux, s’étale sans pudeur sur les estrans tissés, exhalant  le souvenir acre  des corps  désemparés qui s’aiment au matin. La peinture sent la sueur amoureuse, et brille  de tous ses flux déposés avec lucidité… et mélancolie  aussi ; pendue au mur, elle  « pue du cul » et met au jour , dans le silence, la brutalité de nos histoires.

 C’est pourtant la nécessite d’apparaître au monde qui l’a fait naître, mais d’apparaître telle qu’elle  est : nue de tout espoir séducteur. Et plus elle s’épaissit, plus elle s’offre en fragilité,  prête à se décrocher, à tomber des murs, à vivre en résidu…

L’œuvre se construit de la matière même, acceptant le risque de ne jamais tenir. Pourtant régulièrement apparaissent les fantômes, les figures oubliées… enracinant les toiles dans l’expérience et montrant par l’exemple une volonté de vivre coûte que coûte. (mais même en cette figuration, on est plus proche des draps exposés après les noces que de la sainte image) … puis les mots se révèlent, sortent de la couleur, accompagnés de toutes leurs cohortes d’images. Mais ceux – ci ne nous apaiseront pas : ils sont les mots du mal,  ils nomment, précisent la cible,  écrivent nos douleurs. Les mots viennent des autres, du monde du dehors. Ils nous submergent de leur puissance évocatrice,  et nous disent la laideur… Restent alors les étoiles, aux firmaments des panthéons :  le chevalet du peintre  et les deux Pictoris … guides éclairés de nos nuits achromes.

 

« Aller au bout de la peinture… » me dit-il, comme on dirait « au bout de soi », là où seule s’illumine  la lumière des entrailles. «Regarde ! putain, c’est beau !» … d’un coup alors, sous le regard disparaît l’insupportable pour laisser place à la magnificence, la beauté d’un monde si complexe,  qu’on ne pourrait l’appréhender autrement qu’en peignant… Repeindre l’ile des morts ! redire la nécessité… Peindre c’est se dépeindre,  et planter ça et là quelques mousses, qui lentement tapisseront leur couleur d’une présence rudérale… Les squames aussi resserviront,  comme tous les détritus.  La beauté vient toujours  des rebuts, des laisser pour compte…  Tout alors est regardé: la peau de nos morts, la tripe  et les déchets. Tout devient l’outil d’une ultime lecture, le bruit d’un cri assourdissant : la révolte  face à  l’outrage.

 Mais écrire la peinture c’est déjà la trahir, c’est la contourner, alors qu’effrontément dans l’atelier, elle me fait face avec une franchise absolue, une vérité obsédante qui, sans concession, m’ arrache les peaux mortes des yeux… enfin, cette peinture me fait voir.

   janvier / février 2011

 

 

 

PG