A propos des affleurants d'Anne Verdier

Le geste est parmi les plus simples … les plus affectueux aussi : couvrir le monde, le recouvrir. L’effleurer de la main pour mieux le regarder, pour mieux en éprouver la permanence. Recouvrir quelques rochers émergeant, témoins des premiers refroidissements d’un monde alors liquide. L’acte révèle, là où les yeux passeraient sans ciller, l’immensité du sous sol, les magmas bouillonnants, les fusions obscures. L’argile déposée y retrouve ses racines et nous connecte aux temps immémoriaux. La sculpture témoigne des transformations minérales qui ont fondé nos histoires. Couvrir le monde passionnément d’un geste reconnaissant et en garder la trace pour la remettre au feu. Comme si tout pouvait à jamais recommencer. Comme si la simple attention porter à ces rochers pouvait nous recaler dans les énergies de la Terre. Je me souviens de Liang déposant sur chaque pierre dépassant des eaux du Mékong, un peu de riz pour les esprits. Un peu d’argile, alors, ne peut que nous grandir et augurer d’un voyage sans risques. De la terre déposée comme un drap sur nos morts, pour tenter d’en capturer l’image. Juste un peu de terre comme on laisse, pour dire notre venue, quelques cailloux sur les tombes.

La main caresse la roche. La main modèle la terre y laissant toutes nos traces d’un passage incertain, si fugace face à la lenteur des montagnes. Tendrement, elle dessine les contours de ce que sera l’empreinte. Affirmant une géologie intime qui n’a de réalité que dans l’histoire que le sculpteur nous raconte. Les paysages nous ressemblent et les œuvres commencent lors de leurs traversées, le matin, quand dans les brouillards apparaissent sourdement les masses lourdes des noyaux de granit prêts à replonger, et qu’au fond du décor se dressent les orgues refroidies. La nature est toujours le modèle, la source. Pas à pas Anne y découvre les lieux possibles de son inscription … pas à pas, elle marque les lieux de son travail, puis, laisse les dépôts sécher au vent, le temps que le dialogue se noue entre l’argile et les lichens.

Que dire face à l’immanence, si ce n’est notre éternel besoin d’humanité? Si ce n’est notre impossibilité à rester de pierre devant les dépouilles du monde. Alors, elle cuit pour refaire le chemin et en ré-enchanter les cristallisations. Elle cuit pour raccourcir le temps et nous offre modestement, quelques croutes métamorphiques. Des extraits aux couleurs chaudes, des morceaux sur-fondus, des carapaces.

Apparait alors l’image tellurique des fondations primaires - grave, lourde et discrète. Un voile posé, sur les affleurements du monde souterrain … la parure de Gaïa.

PG.2016