à propos (printemps - été 2002)

Pour parler de la diversité de ses écrits, Georges PEREC dans "notes sur ce que je cherche", se compare à un paysan qui ferait pousser dans un champs des betteraves , dans un autre de la luzerne et dans un troisième du maïs. J'aime assez cette comparaison que je trouve pratique pour illustrer l'intéret que je peux porter simultanément à plusieurs pistes de travail, toutes ces pistes convergeant vers un seul point qui serait l'idée que je me fais de la céramique actuelle ; Une expression libérée de l'idée de "savoir faire", ou du moins, éloignée d'une "façon de faire" récurente. Une céramique privilégiant le sens et l'expérimentation. Une pratique aventureuse et prospective.
Il me semble qu'il faille tenir une position loin de la maîtrise des choses et plus curieuse des résultats possibles, disponible à tout écart, à toute digression, s'éloignant de l'idée même de production, se rapprochant peut-être de la contemplation...
Je dois faire... acceptant que la matière même m'entraine dans la pensée. Refusant l'idée de l'artiste démiurge, créateur de chef d'oeuvre hiérarchisant ainsi les rapports au public ou le reléguant au rang d'admirateur. La rencontre ne peut se faire que dans l'idée d'égalité. Le travail, pour ça, ne doit pas être porteur de prouesses techniques, il doit simplement parler de soi, profondément, sincèrement, parler de nos errances, de nos doutes, de notre difficile humanité. Parler de la solitude: Nous nous devons de faire ce choix pour acceder à la singularité même de l'oeuvre. Le manque de courage ici ne peut que nous entrainer vers la médiocrité... Cette idée de la solitude face au monde me semble être le fondement de l'acte artistique.

Tout travail devrait être une tentative de l'individuel vers l'universel. Entre la pensée et la nature même des choses, entre l'intellect et le sensible, loin des théories. Une constante recherche d'un point de départ juste et sans concession qui parlerait réellement de moi et non pas de l'idée que je me fais de moi-même. "plus qu'une matière à modeler, la terre est une matière à penser" et la travailler, c'est déjà réfléchir... avec les mains... tentacules intelligents, prolongations sensibles du cerveau. C'est surtout se positionner face au monde, face aux lecteurs bien sùr, mais aussi face aux autres artistes... face à l'histoire.

D'une manière générale, je peux dire que mes travaux partent de quatre préoccupations principales

  • le rapport à la poterie comme possibilité figurative de la céramique. (les bols, les pots)
  • la séparation de l'image de la terre entre paysans et potiers (les outils)
  • la terre comme outil de relation (les intangibles coïncidences,etc)
  • le rapport de la sculpture au corps (l'une et l'autre main)

Bien sûr ces pistes ne sont pas aussi nettes que ça, et la plupart des travaux pourraient être classés dans plusieurs de ces familles... certains même dans toutes. Si l'on considère cette classification comme issue du contenu, la forme elle, prend deux chemins principaux

  • l'objet
  • l'installation.

Deux chemins autant revendiqués l'un que l'autre, et qui s'imbriquent au point, parfois, de ne plus être identifiables, les objets servant de vocabulaire de base aux installations et les installations mettant en relation les objets. Je suis toujours curieux de cette globalité du travail. Il faudrait ajouter à cela, quelques tentatives complémentaires : Performances, photos et écriture qui me semblent toujours accompagner le travail d'atelier. Le plus important restant pour moi l'engagement dans "la pratique céramique". Un engagement dans le temps, comme une fidélité nécessaire, montrant qu'il est toujours possible de vivre autrement, loin des miasmes politiques. L'atelier est le lieux d'une possible ré-invention symbolique du monde, un espace de résistance où tout travail demare par une systématique remise en cause de mon regard.

Philippe Godderidge