des deux mains…

 Des deux mains, dès demain ( et plus si affinité)

 

Tout part de la main,  tout au départ est dans les doigts, inscrit, prêt  à déformer  la terre  et m’emmener dans une infinité de formes sans cesse éprouvées. tordre, couper, écraser.  tout va pouvoir par une simple variation de pression, de contact, par une simple variation de présence  à la forme,  m’emmener dans des univers jusqu’alors inexplorés. caresser, aplatir il faudrait à l’instar de Serra s’inventer un programme de travail. gratter, lisser, trouer. un programme qui prendrait source dans ma peau, à la lisière de ma chair. un programme qui ne partirait que de moi pour se fondre dans la terre  et qui me renverrait ainsi à mes propres espaces d’origine. rouler, battre, pincer, pétrir.  Jacqueline Lerat  disait  que la vie de la forme dépend de la qualité du toucher … je ne sais pas vraiment si c’est si précis … il me semble que le plus important est de savoir où je suis, quand je travaille… physiquement et mentalement. malaxer, percer. savoir comment je m’inscris dans la forme. comment je laisse les choses apparaître et comment je les regarde… tout devient possible… la terre me touche… constamment…  constamment, elle me répond et me parle de mes limites, de mes impossibilités …   de ma porosité. la peau est fragile, elle laisse à la blessure apparaître la chair,  le muscle,  le caché,  l’inavouable. appuyer, broyer, adoucir. ma peau me dit ce que je suis :  plus doux que la terre, plus sec aussi, et tellement plus chaud. cet échange thermique est important  il donne la distance… il m’ arrive  de préparer ma terre avec de l’eau chaude pour plus d’intimité, pour moins perdre de temps  à trouver le contact et pour pouvoir plus facilement me vautrer  dans la forme molle. déchirer, graver, gratter, effleurer. il m’arrive de préparer la terre trop molle aussi pour que les forme ne tiennent pas et que les érections ainsi s’écroulent… la sculpture n’est pas toujours magistrale. elle n’est pas toujours cette prétention  à occuper l’espace qui, de sous mes pieds, là où la terre commence,  se déploie jusqu’au dessus de ma tête, là où déjà est le ciel. Creuser, comprimer, presserj’ai jeté mes outils. mon corps est assez dur pour s’imprimer. la terre dans sa souplesse m’offre cette possibilité alors pourquoi chercher à m’adjoindre des  prothèses  faites par d’autres corps ?  sculptures déjà, qui alors s’insinuent entre moi et l’argile ? je veux être en direct, à fleur de peau…  sentir les qualités de la matière changer, le temps de la mise en œuvre.  en être le touchant touché. racler, pénétrer, trancher, plier. en sentir les effluves, en tester les douceurs… je la porte à la bouche pour assurer un collage, un ajout,  en gouter au passage la fadeur poussiéreuse.  laisser un peu la salive diluer la boue… il n’est pas que la main  qui s’inscrit. froisser, serrer, casser, enfoncer, polir. il n’est pas que ma main non plus, souvent je la sens trop chargée de reflexes, les défenses se construisent  dans des jeux   qui mettent de côtés toutes mes hésitations, mes ratures, essayant de construire dans la rapidité des volumes fiers de tenir debout… comme si je savais faire ! aplanir, étaler, tasser. je cherche l’incertain alors j’invite, je convoque,  je provoque l’échange peau à peau,  corps à corps   pour bâtir des formes improbables  qui ne parleraient que de nos rencontres. étirer, griffer, arracher. existe t-il d’autre lieu utopique d’une plus grande fraternité que l’atelier? D’autre lieu ou l’intimité peut se frotter à la terre sans mépris, sans gloire, juste pour voir, pour tenter de petites expériences ? faire le tour du monde ensemble ? modeler main dans la main. risquer les imprévus…

 

 Puis, une fois les volumes établis, tout sera recouvert, d’un émail parfois posé à main nue pour sentir le liquide dégouliner sur moi… tout sera durcit…  le feu  pérennisera les expériences passées sec, doux, chaud, piquant. et après le feu, on tentera  de retrouver l’histoire. rugueux, gras. mais  pourront –ils revoir tous les moments passés, toutes les questions posées à mes doigts   par la terre ?… et qu’à mon tour je livre ? froid, crispant. je me souviens de cet homme sans yeux qui me disait la température des couleurs. coupant, collant, lisse. pourront-ils imaginer les rêves qui m’habitaient  d’une pièce ultime… qu’à elle seule j’aurais pu dire ma vie ? glissant, agressif, strié, dur. sensatio, je comprends… je ne sais pas ce qui se transmet d’autre qu’une sensation  de la peau à la peau.  râpeux, irritant.  ma peau souple, ouverte  se frotte amoureusement à la peau de la sculpture et découvre ce monde dur qui ne parle que du creux qu’il enferme… je ne peux m’imaginer qu’on ne puisse le toucher, qu’on ne puisse s’en saisir au risque de l’effritement, de la casse peut-être. les céramiques sont belles de leur disparition. et qui risque le plus à l’expérience de la lecture ?… lecture car les mains voient. elles décryptent par le sens… mieux que les yeux parfois… la main voit dans l’ombre, dans le creux,  là où la lumière jamais n’ira. cristallisé, fin, granuleux. la main visitant relit, expérimente à son tour, retrouve par endroits toutes  mes empreintes.   de ma main  à celle de l’autre. soyeux, tortueux, rêche. l’autre  devient à son tour touchant touché ; touché par ce qu’il voit autant que par ce qu’il touche… bosselé, lourd, plat.   touché par ce qu’il ressent :   la densité particulière d’un espace crée par la sculpture,  la présence d’une pièce à deux doigts de la peau : proximité physique incontournable,  immensément et simplement humaine .

 

de l’une de mes main à l’autre… de ma main à celle de l’autre.l’une et  l’autre main .(*)

 ( *) « l’une et l’autre main » est le titre d’une installation qui fait l’objet de la première image de la projection qui suit

 

 

P.G. ravent octobre 2011 pour "Tact"