de la lèvre au pied (octobre-novembre 2001)

à propos des bols exposés à La borne et à la Galerie PIERRE

Le bol, pièce originelle de la céramique, reste aujourd'hui l'archetype de la poterie, imposant de la part de l'auteur, sur la forme la plus élémentaire qui soit, un éventail de décisions d'ordre esthétique ainsi qu'une position nette sur la fonction de l'objet.

La poterie me semble la seule voie figurative possible de la céramique actuelle, et le bol en est certainement sa forme la plus simple.. et peut-être la plus complète Les bols que je fais aujourd'hui sont à mi-chemin de l'abstraction.. des idées de bol, ne gardant que le volume initial contenu entre les deux mains, ainsi que le principe intérieur-extérieur, ils ne sont qu'une motte de terre creusée soit par les doigts, soit par le coude et modelée Modeler.. creuser.. La volonté de s'inscrire dans la terre sans jamais effacer les traces qu'on y laisse y subsiste comme une obsession.

Non-utilitaires ces bols essayent essentiellement de poser des problématiques "céramiques" cultivant cette ambiguïté de la figuration dans "l'idée de l'abstraction"(*) Le bol n'est plus qu'un prétexte à réflexion, un format de travail m'obligeant à la concision A partir de quand un morceau de terre devient un bol? A partir de quel geste minimum, de quelle empreinte, le morceau de terre acquiert le statut d'oeuvre.

La forme doit être d'un instant, s?re, sans aucune trace de frivolité, la simplicité du modelage ouvrant la voie au lyrisme . La pièce devrait pouvoir à tout moment être arrêtée, chaque étape étant juste La cohérence des actes et de la pensée devant être constante Cette rigueur théorique se trouve toujours bouleversée par l'aventure même du travail Travailler, c'est peut être aussi accepter une certaine déroute, une certaine digression Faire un bol c'est suivre ce chemin de la lèvre au pied, comme un enracinement.

L'utilisation des cuissons "Raku" nous plonge dans le passé sacré du bol Japonais Il m' est important de combattre cet "orientalisme" Le raku que je fais ne doit au japon que son histoire, je n'en garde que sa violence, que sa rapidité d'exécution et toute idée de folklore s'en trouve effacée Je n'aime pas cette "philosophie du raku" qui le rendrait plus mental que les autres techniques, toutes les techniques sont bonnes pourvu qu' elles servent le sens , tous les outils sont bons si leur utilisation est juste Je n'aime pas non plus la faon dont les japonais photographient les bols la lèvre en bas. J'essaye de ne jamais retourner la pièce et pour en voir le dessous comme pour en travailler le pied, il me suffit de la tenir à bout de bras au dessus des yeux, la tête légèrement penchée.. Et pourtant je les aime ces "shinos" et ces lèvres "jomon".. tout le temps ces images me hantent.. Mais la céramique à construire doit être de partout.. et de maintenant

Le "décor", travail de couleurs superposées, traité pièce par pièce, est poussé jusqu'a ce que je puisse prendre la décision d'arrêter. Le raku, par sa facilité de mise en oeuvre, permet le travail des pièces une par une , c'est fondamentalement cette possibilité qui me fait préférer ce choix de cuisson Bousculant les rapports traditionnels engobe-émail, utilisant les couleurs pour ce qu'elles sont, je cuis, recuis, émaille et ré-émaille, jusqu'a ce que la pièce soit considérée comme terminée ....ou ratée Le rapport aux couleurs dans la céramique actuelle fait trop souvent référence à l'histoire, les "grands émaux" (céladons, temmoku,etc) y règnent en maitres, définissant une palette qui serait "céramiquement correcte" Il faut ici aussi gagner en liberté, les couleurs devraient être utilisées sans idées de valeur, sans complexes avec gourmandise et intelligence.. ..J'aimerais des bols verts comme l'herbe.. j'en rève d'oranges ou d'abricots

Il me faut toujours travailler dans l'inconfort, les résultats doivent aller au-delà de mes rêves, gênants jusqu' à ce que le regard puisse les apprivoiser, m'ouvrant à chaque nouvelle expérience vers d'autres champs, d'autres possibles .... seule la volonté de faire reste la même.La légèreté du bol me permet toujours de l'assouvir simplement

(*) ci: No?l DOLLA (paroles dites par un oeil)

Philippe Godderidge