ne pas se précipiter

13 jul. 23

Freiner des quatre fers.

Cuire un peu chaque jour et prendre le temps de regarder.
Voir les pièges de l’habitude prendre forme qui tentent de m’attirer. Il faut prendre du recul et chercher le détail à partir duquel je pourrai continuer : Une matière particulière, un geste, une couleur. Une sensation, une petite chose qui va ouvrir une porte vers une toute petite possibilité d’autre chose, un possible ailleurs qui complètera la série. Une infime différence.
Je ne peux pas répéter, je ne peux pas refaire … à quoi bon ?

Chaque jour je repousse un peu l’ardeur pour ne pas tomber dans la redite. Je laisse apparaitre le nouveau chemin, s’ouvrir les herbes devant les yeux. J’ai pourtant envie de finir vite, mais je sais qu’il ne faut pas. L'excitation propre au travail s'accompagne souvent d'automatismes et de répétitions.
Je regarde.
L’hésitation est la vraie source, elle permet l’émergence des détails.
Je passe à l’atelier et regarde ce que je devrais faire … Je repousse à demain.
Pas pour éviter, mais parce que demain sera encore plus complexe, plus complet dans la vision du résultat qui, avec le temps, s’écarte petit à petit des affects attendus.
Quand j’ouvre le four, je crois savoir, je crois voir ce qui est correct et ce qui ne l’est pas. Mais bien souvent je ne vois que ce qui est attendu et ce qui survient sans que j’y sois préparé. Ce sont ces certitudes qu’il faut chasser pour rentrer enfin dans le domaine de la surprise.
Je veux parler de l’incertitude, de la découverte, des errements. Je veux dire le non-savoir, l’exploration. Mais aussi les inconforts, les gênes. Tous ces tremblements qui me font sentir la vie. Tout ce qui fait que je continue à cuire.
Je ne fais pas pour répéter. Je ne fais pas pour retrouver.
Encore moins pour prouver.

Comment regarder le résultat qui déçoit ?
Comment mettre de côté la déception pour ne voir que ce qui advient et ne considérer les choses que pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles devaient être ? La sensation d’être capable de maitriser les transformations provoquées par la cuisson ne laisse la place qu’à la médiocrité.
On se contente de peu.
Mais le grand monde est encore inconnu. Il est celui qu’on ne voit pas, qu’on ne peut imaginer, qui permettra à la pièce une fois cuite d’accéder à une autonomie totale, loin des revendications de son auteur, loin des petites et ennuyeuses prétentions.
Le monde des objets est plus grand que le monde des hommes et nous sommes encore loin d’en connaitre tous les recoins, les multiples facettes des fusions improbables, les matières insoupçonnées. Les silences qui le constituent sont lourds de sens et nous renvoient à nous-mêmes pour peu qu’on prenne le temps de les écouter.
Le dilemme est constant : faire, mais pas trop ! et ne pas trop anticiper.
Faire pourtant pour laisser cette porte ouverte, et construire ainsi une pensée dynamique, une pensée mouvante et protéiforme.
Alors je retourne à l’atelier et regarde encore une fois ce que je viens de cuire. Demain je rajouterai une couche d’engobe et d’émail pour perturber un peu ce qui vient d’arriver et déranger ainsi l’ordre qui se mettait en place.
C’est peut-être une connerie, un geste de trop. Mais ne pas le faire me ferait le regretter toujours. Le risque est toujours là de réussir peut-être !
Tenter le diable plutôt que le bon-Dieu !
Ne plus pré-voir. Im-prévoir – improviser.

image: détail d'un pot de la somme-noir