pour une fois

02 dec. 19

Je reprends mot pour mot un courrier envoyé à michel Blachere l'année dernière.


Je n’ai pas bien l’habitude de faire ça. Mais, triant mon courrier de l’année dernière, je tombe sur celui-ci qui reflète bien encore l’état d’esprit dans lequel je me trouve actuellement.

Michel
La question posée était : est-ce qu'une résidence à Sèvres t’intéresserait ? Tu me demandes ça alors que ça fait quelque mois que ça résonne dans ma tête comme quelque chose que je n'arrive pas à résoudre. Bien sûr en ce moment les résidences font partie du système ... j'avais pris position contre, de manière un peu succincte, il y a quelques années… C'est vrai que pour les jeunes artistes, ça peut être intéressant : expérience différente de l'école, passage "en vrai" dans un atelier etc etc. Mais pour moi et mon travail, ça ne me semble pas être le bon moment (et peut-être pas la bonne voie). Je suis en ce moment, dans mon travail, en train d'essayer de comprendre les pertes ; perte de l'installation, perte de l'usage de matériaux divers (bois, pierre etc) et perte de la relation terre crue/ terre cuite. Je crois comprendre que le petit succès (notamment auprès de Viviane) n'y est pas pour rien. J'ai glissé vers des objets qui pouvaient rentrer facilement dans des collections.
Il me semble important d'incarner le travail dans un lieu de production propre. Directement lié à ma vie et donc aux questions qu'intimement je me pose sur notre propre rôle. J’ai, pour tenter une réponse sensée, développé une pratique que l'on pourrait classer dans les histoires liée à la décroissance… avec surtout en ligne de mire, le fait que les moyens les plus «cheap » peuvent à eux seuls recentrer les propos vers les plus fondamentaux… Mon intérêt pour l'Arte Povera partait de ce sentiment. Et je reste persuadé qu’il faut que je me débrouille avec un peu de terre et quelques poils de vache. Il y a dans ce cheminement quelque chose d’anti- spectaculaire ... le format bien sûr, qui reste restreint mais aussi la température de cuisson qui demande le minimum d’énergie. Sèvres est à l'inverse de ça. C'est vrai que pour certain ça marche bien et qu’ils peuvent tordre le cou, ou pas, à cette impression de pouvoir qui traîne dans les couloirs de la manufacture. Certains artistes ont la force pour s'extraire de ça… Moi je sais que je ne pourrais pas.

L’expérience de Fuping était à l'opposé (basse température, émaux au plomb, liberté de travail dans l’usine). Elle m'a permis de comprendre qu'il fallait que je sorte le moins possible ... ou pour aller dans des lieux proches de moi (ateliers de Jacques, de Coralie ou celui d'Anne récemment) ; des lieux d'égalité. Je serais bien Incapable de demander à un ouvrier de réaliser un travail pour moi, sans qu'il soit correctement payé. J'avais, à ce propos, lorsqu'on m’a demandé si je pouvais réaliser une pièce pour Fabrice Hyber, accepté à condition de toucher la même somme que lui (ce n'était pas prévu comme ça !) Le principe d'égalité que je tente de développer dans mes pièces (égalité des formes, des couleurs, des principes, égalité entre les pots et la sculpture) doit aussi avoir une réalité sociale.

Bon voilà, j'espère que tout ça n'est pas grandiloquent. Mais c'est au plus près de ce que je ressens.
Je me suis remis au travail : des pièces murales et des pots!
Merci pour l'intérêt que tu portes à tout ça
Je t'embrasse
philippe

Voilà! les débuts de l'hiver s'accompagnent tous les ans d'un cortège de questions et d'une bouffée mélancolique, dépendante, je crois, du manque de lumière grandissant. Seules les brebis y trouvent leur compte... période de gestation annonçant un avenir renouvelé.

image: paysage 2018